mercredi 16 mai 2012

C'était la Grenouillère


C'est d'abord une attente. Près de trois ans que m'intriguent ces tasses d'eau de mer, meringue à l'encre comme une pierre de lave et autre homard dans son buisson de genièvre fumant. J'ai lu ça et là, laissant monter le désir de me frotter à cette cuisine aussi pertinente qu'impertinente.

Et puis il y a eu le prétexte, les fonds qui vont avec. Et la rencontre avec ce garçon flamboyant me confortant dans ma décision: ma nouvelle vie, c'est à Montreuil-sur-Mer qu'on la fêterait.


Le problème avec ces moments-là est double, et me taraude à mesure qu'on roule vers le vert pays d'Alexandre. Est-ce que je n'ai pas un peu trop fantasmé l'affaire? Accepterai-je même l'idée d'être déçue?
Et moi, serai-je à la hauteur, saurai-je entendre ce qu'il me raconte?


Je laisse mes doutes à la porte de ma hutte, sur laquelle on ne tirera pas une seule fois le rideau, comme pour mieux s'imprégner de ce territoire. Longue nuit et balades sur la plage.


On passe de nombreuses fois devant la salle, essayant de ne pas se laisser hypnotiser par le ballet qui s'y joue. Encore quelques heures de ce temps suspendu dans notre cocon et on en sera les acteurs.


Oui, ici, le mangeur est acteur de son plaisir. Sur ce menu délicatement froissé, pas de slashs mais des points de suspension, comme pour nous inviter à mettre les mots sur les émotions à venir. On potasse dans le salon old-style en sirotant une coupette. Amuse-bouche: huître drapée dans la pomme de terre, peau de poulet... Allez, on est prêts.

On pénètre dans la salle par un couloir sombre, jetant timidement un oeil sur la cuisine par les meurtrières à travers le mur qui nous en sépare. On sait pourtant qu'on profitera de ce ballet (presque) muet depuis la salle. On caresse le cuir de notre table avec une pointe d'inquiétude: ce spectacle ne risque-t-il pas de nous happer, à la manière d'un miroir ou d'une télé allumée? On saisit nos couteaux de chasseur pour tartiner un peu de ce beurre déjà tant aimé au petit déjeuner, et on commence à comprendre que non. Cette cuisine "plus qu'ouverte" comme Alexandre le dit lui-même fait sens. Impertinence, pertinence... Cohérence. Et voilà qu'on nous entraîne dans la danse... Images volées (dont vous excuserez du coup la piètre qualité...).


Lapin moutarde, asperges blanches...
Cru et délicatesse.



Blanc d'oeuf caillé, crevettes grises..
Le magicien du Pas-de-Calais...



Couteau, blanc d'oeuf...
Moi qui ai grandi dans un pays de chlorophylle, je sais qu'on me raconte un souvenir d'enfance iodée. Emotion.



Petits pois, seiche...
Pertinence, intelligence.


Grenaille en croûte, oeuf d'oie...
Plaisir de retrouver cette simplicité vue au Off
Sentiment de n'avoir jamais goûté de jaune d'oeuf auparavant...


Cuisses de grenouille, beurre, citron...
Gourmandise.



Homard, genièvre...
C'est Noël. Même si on n'avait pas été au courant, je crois que personne n'aurait eu à nous expliquer qu'il n'y avait pas de couverts. On goûte le plaisir à mains nues.


Chanvre.
Mise en scène...



Rosé, cendré, lapin...
Le voilà, ce paysage désolé mais sublime... Fulgurance.



Cochon comme un jambon, demi-cuisson, radis...
On retrouve l'usage de nos couteaux virils.


Navets, morilles...
Rusticité.


Miel, citron...
Sensation.



Herbes grasses...
Grosse claque. Emotion brute et immédiate d'une galipette dans l'herbe.
Souvenirs d'enfance et rêves bucoliques d'adulte. Grand, grand plat.


Premières fraises...
 Textures.


Cacao, pissenlit...
Impertinence?
La dinde aurait adoré...


Bulle d'oseille...
Bon, d'accord, pas de plat signature... Pourtant tout est dit.


On termine dans le salon, avec un macaron au persil. Fourbus mais heureux. A l'image de ce jeune papa qui semble dopé à la fatigue. Diablement vivants.


Salutaire Grenouillère... GO!


La Grenouillère, Montreuil-sur-Mer. 45€ (déjeuner), dîner 85€-115€.

4 commentaires:

Bamby a dit…

Ma foi, les tarifs indiqués semblent tout à fait raisonnables pour les plats décrits avec tant de brio. Lire ça juste avant midi et avant de passer à table (il est 11h44) met plus que l'eau à la bouche. Si les saveurs dudit Alexandre virevoltent avec autant d'imagination et de talent que la plume (ou le clavier) de Cocotte, la Grenouillère est un rêve. Et la hutte au pied des dunes de sables ressemble à s'y méprendre à un nid d'amour idéal... Bref, tout ça donne envie!

Cocotte a dit…

En fait, Montreuil n'est pas tout à fait sur la mer... C'est un nid vert

LILIBOX a dit…

J'en reve ! un jour viendra...

Cocotte a dit…

Il faut le vivre, GO!